Collectif de défense des
contribuables de Grayan-et-l'Hôpital |
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Enquête : Dans cette commune de la Gironde, des milliers de naturistes veulent renverser le pouvoir. La mairie de Grayan-et-l'Hôpital a mis en demeure Euronat, le plus grand centre naturiste d'Europe, implanté depuis 1975 sur le littoral. Depuis, la ville est coupée en deux. Le camp de vacances d'Euronat se trouve à Grayan-et-l'Hôpital depuis 1975. (©Document transmis à actu Bordeaux) Par Raphael Lardeur Publié le 29 Nov 23 à 18:52 Un western moderne se déroule à Grayan-et-l'Hôpital sous les yeux effarés des habitants. Dans ce bourg de 1 543 administrés situé sur le littoral girondin, des naturistes veulent prendre le pouvoir. Regroupés au sein du collectif "Nous Sommes Euronat", ils seraient plus de 2 600. Le combat fait rage. À deux mois des élections municipales anticipées, suite à la démission d'une large partie du Conseil municipal, la situation s'enlise. Dans les deux camps, tous pensent jouer le bon et accusent les autres d'avoir le rôle du truand. Avant le premier tour, fixé le 21 janvier 2024, certains amoureux de la vie légère s'inscrivent en masse sur les listes électorales pour contrer contrer la candidature de la maire, Florence Legrand. La Ville affirme avoir reçu environ 300 dossiers dont les trois-quarts viendraient de personnes ayant en majorité une résidence secondaire à Euronat. Le plus grand camp de vacances naturiste d'Europe peut accueillir 15 000 personnes, soit dix fois plus que la population totale du bourg. Il est installé depuis 1975 sur un terrain communal de 335 hectares. Face à l'océan Atlantique, ces cow-boys du Far Ouest flirtent avec la légalité. « Des négligences »; Le premier coup de fusil remonte à un rapport de 74 pages publié en ligne le 16 décembre 2022 par la Chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine. Dans ce document, celle-ci fustige «les nombreuses carences» dans la gestion financière de la commune, et en particulier dans son rapport avec Euronat. Selon la CRC, la « négligence de la commune l'a privé du juste montant de redevance ». En réalité, qu'est-ce que cela implique ? Un manque à gagner pour la commune, estimé à 9 millions d'euros selon la mairie actuelle. Les magistrats indépendants de la CRC, véritables shérifs administratifs, ciblent aussi la durée du bail d'origine signé en 1975 entre Grayan-et-l'Hôpital et Euronat. Un contrat exceptionnel de 99 ans, au lieu des 70 ans prévus pour la durée maximale d'un bail de construction. Ce n'est pas tout. Le rapport indique que des extensions de contrat sont «venues alléger les contraintes d'Euronat en réduisant le montant des contreparties financières à sa charge, en rallongeant gratuitement la durée du bail ». Sans compter « l'oubli de 350 mobil-homes » en plus des bungalows, parmi le millier de logements permanents. Pour finir, la commune ne dispose pas aujourd'hui d'une vision claire des travaux de construction réalisés dans le centre, ni, plus grave, d'un fichier historique recensant les demandes d'autorisation d'urbanisme adressées par Euronat », cisaille le CRC. « Toutes les archives ont été détruites à mon arrivée, en 2020 », lâche la maire, Florence Legrand. Voilà pour le décor. La mise en demeure et les démissions Et depuis le rapport, c'est sauve qui peut à Grayan-et-l'Hôpital. De loin, les gens se fusillent du regard. « Le village est privatisé par Euronat », résume la maire. Au mois de mars 2023, l'édile, passée par Sciences Po Paris, la mairie de Paris et la Cour des comptes, a engagé trois huissiers et des géomètres pour constater l'ensemble de ces irrégularités. L'édifiante synthèse a été rendue publique au Conseil municipal du 20 juillet 2023. « Là, nous avons nous aussi constaté de nombreuses irrégularités », rapporte Florence Legrand. Ce second rapport constate le dépassement « des normes maximales autorisées de bungalows ou de logements », « sur le nombre de mobil-homes » ou encore " le non-respect de la clause de calcul et de paiement de la part variable du loyer dû par la société Euronat ». La bête est-elle devenue indomptable? Le même jour, après plus de 70 ans plutôt tranquilles, la société Euronat recevait une mise en demeure de la part de la mairie. Un vrai cataclysme. Commence le temps des intimidations. Florence Legrand se serait-elle attaquée à trop gros, à plus fort qu'elle ? À deux jours de la date butoir de réponse, en octobre 2023, Euronat sort de sa torpeur et répond. Le courrier est « presque vide » et contient « des intimidations de toutes sortes à mon encontre », détaille l'élue. Contacté, le dirigeant de la société Euronat, Jean-Michel Loréfice, n'a pas souhaité répondre à nos questions. « Il est de toute façon en vacances pour trois semaines », nous a-t-on dit. Personne pour expliquer la situation dans laquelle s'est mise la société aux 10 millions d'euros de chiffre d'affaires. Retour au 23 octobre 2023, date à laquelle Euronat commence la contre-attaque. Quelques jours plus tard, six conseillers municipaux d'opposition démissionnent. Alors que la maire est arrivée depuis deux ans, l'absence d'un tiers des membres du Conseil municipal provoque une nouvelle élection partielle intégrale. La boucle est bouclée. Grayan-et-l'Hôpital est désormais coupée en deux. « Une attitude clivante » « Ce qui est dingue, c'est la manière dont la maire a mis le feu aux poudres entre les Grayanais », lance Benoît Ganem. Florence Legrand, serait trop directe ? Pour cet ex- homme d'affaires, à l'origine du collectif "Nous Sommes Euronat" fondé à l'été 2023, c'est une certitude. « Elle a une attitude très clivante, relance-t-il. Nous, on veut seulement défendre Euronat contre une attaque démesurée. » Les armes sont chargées. Depuis, le collectif entame une campagne d'influence intensive pour défendre leur Fort Alamo médocain. Les têtes pensantes du groupe envoient des mails en anglais, en allemand et en français à tous les adhérents pour leur demander de s'inscrire sur la liste électorale. Seulement, la majorité d'entre eux sont extérieurs à la commune. Tant pis, «c'est légal», souffle Benoît Ganem. Cependant, la Ville de Grayan-et-l'Hôpital mettrait des « bâtons dans les roues » aux propriétaires d'Euronat. « On nous dit que certains ne sont pas inscrits alors que leur conjoint si. » « Nous sommes juste sous-dimensionnés pour cette tâche », répond la maire. Quoiqu'il en soit, sur le nouveau marché du samedi, des habitants boycottent les commerçants. Les raisons? Il est de l'initiative de la nouvelle mairie. Autre chose, une femme d'un conseiller municipal adjoint aurait même reçu des menaces. « On lui a dit que sa maison allait brûler », déplore Florence Legrand. Une plainte a été déposée. Tel père, telle fille Point d'orgue de cette offensive, une cagnotte Leetchi a été lancée par le collectif. L'objectif : « financer les consultations auprès du cabinet CMC Avocats de Bordeaux sur les réponses et actions appropriées dans ce dossier complexe sur l'aspect juridique ». En clair, attaquer la mise en demeure de la mairie en finançant les honoraires d'un avocat. Et sur les 237 participants de cette page qui a récolté déjà 10 000 euros, deux noms interrogent. Ceux d'Hélène Loréfice et de sa fille Alice. En fait, Hélène Lacroix-Loréfice n'est autre que la femme du gérant de la société Euronat, Jean-Michel Loréfice. Elle est aussi la fille d'Hubert Lacroix, l'heureux fondateur de cette entreprise tentaculaire qui « tourne bien », admet Benoît Genam. Car Euronat, c'est une affaire de famille. Plus surprenant, certains actionnaires de la société ont eux-mêmes participé à la constitution de la cagnotte. « Alors, que penser de l'indépendance de "Nous sommes Euronat" ? , demande Hugues Fouquet, président de l'association IFE-AIDE, qui représente l'ensemble des propriétaires à Euronat. « Nous souhaitons garder une neutralité, je pense que le camp de vacances peut se défendre seul », argumente-t-il. Intérêt public, privé? Cette connivence entre les actions du collectif "Nous Sommes Euronat" et ses propres actionnaires n'est pas la seule collusion à déranger. Ce groupe a bénéficié des canaux de communication d'associations politiques telles que « La Grayanaise » et de « Gurp ensemble ». Les mêmes groupes qui, aujourd'hui, voudraient gagner face à la maire actuelle, pense Hugues Fourquet. La boucle est une nouvelle fois bouclée. Cette confusion entre les intérêts publics et les intérêts privés agacent. Hugues Fouquet la trouve « étrange », la mairie « insupportable ». Quant aux échéances du 21 et 28 janvier, du premier et second tour des élections municipales, Florence Legrand se dit « confiante ». « Je pense gagner, les Grayanais détestent se faire couillonner (sic). » « Nous ferons tout pour peser dans ces élections », torpille à son tour Benoît Ganem. |
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